samedi 22 février 2014

Avoir du temps, ou la complainte du chômeur

Quand j'ai commencé ce blog, c'était avant tout dans un but occupationnel. Mon contrat de travail s'achevait au moment où mon viril-mais-doux trouvait un emploi à Montpellier, j'ai passé beaucoup de temps dans les cartons, pour le départ, puis pour l'installation. Et j'ai du effectuer toutes les démarches à accomplir quand on déménage (changement d'adresse, régler des trucs avec la sécu, pôle emploi, les assurances, etc.), ce qui m'a pas mal occupée les premiers temps.

Après l'effervescence de l'emménagement et l'enthousiasme de la découverte d'une nouvelle ville et d'une nouvelle région, je me suis pris un méchant retour de boomerang avec 10 longs mois de chômage...

Je n'ai pas forcément bien vécue cette période, et je sais que je peux vivre à nouveau quelque chose de similaire à partir du mois d'août prochain, puisque, jusqu'en juillet, je suis en formation, mais d'après ce qui se laisse dire, la crise ne semble pas complètement terminée, et je ne crois pas trouver le job de mes rêves exactement au moment où cette formation s'achèvera.

Un petit truc, un petit texte écrit avant mon entrée en formation sur mon ressenti pendant ces 10 derniers mois, sur mon rapport au temps, sur cette espèce de faille, une sorte de "no man's land" temporel...Un besoin de livrer ce ressenti pour expliquer en partie le repli sur moi-même et l'humeur dans laquelle je me trouvais...



Souvent, dans ma vie professionnelle bien chargée, j'ai rêvé d'avoir du temps pour moi pour mener de petits projets comme des grands.

Les petits projets comme revoir toute ma décoration, prendre des cours de langue sérieusement, faire diminuer considérablement le tas de vêtements qui nécessitent un ourlet, un petit raccommodage, ou utiliser enfin ces tissus que je garde depuis des années. Et les grands projets, comme partir en voyage, ce fameux Brest-Tokyo que nous voulons faire en train avec ma sœur. Comme vraiment l'ouvrir ce salon de thé-librairie de ouaouache et cuisiner tous les matins des petits sablés mignons à offrir aux clients.

Et bien, pour la première fois dans ma vie, j'ai eu du temps. Énormément de temps. Je suis au chômage, sans emploi, à la recherche d'un emploi depuis le mois de mars. 10 mois.
Plus long que le temps d'une gestation. 10 mois où les jours se ressemblent tous et s'engluent les uns dans les autres. Mon temps est devenu en grande partie du temps domestique. A tous les gens qui ne me demandent plus ce que je fais de mes journées, car je fais tout pour éviter la conversation, voici un exemple d'une journée type.

7h00. Le premier réveil de mon compagnon sonne. Il l'éteint.
7h30. Le second réveil sonne. C'est une radio, il la laisse allumée, il aime se réveiller tranquillement avec le son des voix. Tant mieux, moi aussi.
8h30. Il part, je me lève à peu près à ce moment-là, pour lui faire un bisou et lui souhaiter une bonne journée. Je déjeune en allumant mon ordinateur. Je passe environ une heure sur internet. J'ai toujours aimé lire quelques blogs, mais là, c'est exponentiel, c'est le genre d'occupation qui a pris énormément d'ampleur depuis mon inactivité professionnelle. Durant cette heure, je lis, regarde les photos, j'ai découvert Pinterset, Instagram, et toute cette activité virtuelle est chronophage. Je consulte également une trentaine de sites d'emploi, spécialisés dans mon domaine ou non. Si je trouve des annonces intéressantes, je les imprime pour m'en occuper plus tard.
9h30. Là, c'est direction la salle de bain où je passe pas mal de temps également. Evidemment, pourquoi se presser ? J'ai le temps.(Comme je déteste cette phrase à présent, j'ai le temps. J'ai le temps de penser, de m'ennuyer, de ne pas arriver à me reprendre en main, de constater que je ne trouve pas d'annonces correspondant à mon profil, qu'il me manque des compétences, que mes amis sont loin aujourd'hui, que gnagna, gnagna...)
Donc, la salle de bain. Je n'ai jamais autant respecté les consignes beauté des magazines et des esthéticiennes. Gommage et masque une fois par semaine, minimum. Lait corporel sur les jambes pour une peau bien hydratée. Epilation. Maquillage soigné.
10h. Etat des lieux de la cuisine. Vaisselle de la veille. Lancer une machine à laver le linge. Plier celui de la veille. Éventuellement, repassage. Reste la fin de la matinée à occuper. En général, c'est là que je retourne sur mon ordinateur pour rechecker les mails, les comptes des réseaux sociaux, etc. Et que je tente de planifier le reste de la journée : annonces auxquelles répondre, courses à faire, repas/plats à préparer...
12h30 : je mange devant la télé. Et là, il y a un piège. La télé reste un immense aimant qui peut me forcer à rester sur mon canapé tout l'après-midi. J'ai eu une période de découverte des émissions pourries de l'après-midi. A peu près toutes, sauf celles qui sont insupportables quand on a plus de 20 ans. Les émissions canadiennes, américaines, australiennes très très mal doublées. Les téléfilms allemands très très clichés. Les documentaires animaliers devant lesquels j'ai toujours adoré dormir.
14h30 : Si je ne m'assoupis pas, si j'arrive à contrer le champ électro-magnétique de la télévision, alors, je réponds à une annonce pour en déchirer 3 qui ne me conviennent finalement pas.
Ou alors, je vais faire des courses. Ou je vais me promener une heure, pour sortir mon nez de chez moi et découvrir un peu la ville.
16h30-17h : C'est l'heure critique. Celle où la journée est de toute façon déjà foutue. Où si je ne suis pas sortie, je ne sortirai plus. Où, si je n'ai pas répondu à cette annonce, ça attendra le lendemain. Où, si j'ai une fringale, elle se transforme en crise de boulimie. C'est l'heure de l'attente. Je sais que mon compagnon sortira du boulot à 18h10. J'attends son appel qui me dira qu'il rentre. Parfois, c'est l'heure où je cuisine, pour le repas du soir même ou pour celui du lendemain, que mon chéri pourra emporter au travail dans un tupperware.
18h10 : Coup de fil.
18h30 : Arrivée de mon compagnon. Et là, c'est une soirée comme à peu près tous les couples. Rien d'exceptionnel, si ce n'est que, enfin, dans ma journée, je peux parler à quelqu'un. Pas par téléphone, pas la boulangère ou la caissière, non, une vraie personne avec qui je peux échanger. Sauf que je raconte ce que j'ai entendu à la radio, pas ma journée de travail ou le truc rigolo vu dans le tram...

Bien sûr, il y a des variantes.
Il y a eu les rares journées avec entretiens d'embauche, tous ratés, et dont je mets, à chaque fois, au moins 2 jours à me relever. Et qui m'incitent à ne plus postuler sur des postes où je ne fais pas complètement l'affaire, histoire de me mettre le moins possible en posture d'échec, faute de savoir gérer l'échec.
Il y a la semaine hyper rythmée avec la nièce où nous avons visité le zoo, l'aquarium, fait des bateaux dans des coquilles de noix... Il y a eu l'été, où nous avons eu quelques visites des amis à qui je fais visiter la ville, du moins ce que j'en connais.
Il y a eu l'installation, les cartons, les démarches administratives au début, qui ont bien occupé mes journées.
Il y a les coups de fils à la frangine, elle aussi sans emploi.
Il y a les coups de fils aux amies n'ayant pas des horaires de travail conventionnels.
Il y a la tentative de bénévolat. Une fois par semaine, histoire de sortir de chez moi pendant 3h30... Il faudrait y retourner.
Il y a un blog, qui permet d'écrire un peu, de regarder un peu comment ça fonctionne, la vidéo, photoshop, tout ça... pour finalement s'en tenir à des fonctions très simples.
Il y a tout ces "Je devrais..." qui deviennent souvent des "A quoi bon..." ou "J'ai eu la flemme".
Il y a les conseils de tout le monde (sauf de Pôle emploi, mais qui répond quand même à mes questions de façon lapidaire) que je ne veux plus entendre.
Il y a le tricot, qui fait que je ne reste pas totalement inactive devant l'aimant télévisuel.

J'occupe mes journées. Mais je sais que mon temps libre serait plus intense si, à côté, il y avait du temps contraint. J'ai le temps, alors, je peux repousser telle ou telle chose à faire puisque j'ai le temps.

Se reprendre en main ? Mais pour quoi faire ? Que vais-je faire de tout ce temps ?
Le perdre. Ouais, c'est pas mal ça, le perdre, par petites miettes perdues. Comme un Petit Poucet qui émiette son pain dans la forêt, et que les oiseaux vont manger, faire disparaître.

Voilà. Voilà ce que je pourrais répondre désormais quand on me demandera "Tu fais quoi de tes journées ?"
"Je les passe à émietter le temps."
Mais le Petit Poucet, il jète des miettes pour ne pas se perdre. Et moi, j'émiette le temps pour le perdre ?
Je dois être un peu perdue !

Mais, ça va. Le paradoxe de ce temps gluant qui s'étire et qui se mélange, c'est qu'il n'est pas forcément douloureux, pas forcément malheureux. Il est stérile, oui.

Quelle donnée bizarre que le temps. 10 mois. Je ne m'étais pas rendue compte...


Parce que c'est ce qui tourne dans les enceintes tout de suite maintenant : 

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